[Portrait d'auteur] Camille Leboulanger, « réaliste d’une réalité plus large »
Installé près de Lesneven, dans le Finistère, Camille Leboulanger s’est imposé, en quelques livres, comme l’un des auteurs de SF les plus passionnants de sa génération. Rencontre avec un écrivain qui fait de la littérature un outil de réflexion sur l’état de notre civilisation.
Camille Leboulanger voit le jour en 1991, dans le Val-d’Oise, et grandit dans le Sud-Ouest avant d’entamer des études de cinéma à l’école Guist’hau à Nantes, puis à l’École nationale Supérieure d’Audiovisuel de Toulouse. Ingénieur du son, il s’adonne parallèlement à la musique et joue durant plusieurs années au sein d’un groupe
tout en se lançant dans l’écriture. « J’ai toujours écrit, même ado. Ainsi au collège, j’écrivais des fanfictions de Star Wars, puis au lycée, j’ai commencé à écrire des nouvelles. Un jour, j’ai répondu à un appel à textes des éditions La Volte qui préparaient un recueil, Ceux qui nous veulent du bien, en collaboration avec La Ligue des Droits de l’Homme. Le texte a été retenu. Et de fil en aiguille, j’ai décidé de me lancer dans un projet d’écriture plus long, plus important et ai rédigé mon premier roman, Enfin la nuit, qui a été publié par L’Atalante. »
Depuis, Camille Leboulanger n’a pas lâché sa plume et a sorti différents romans (notamment Bertram le baladin, aux éditions Libretto, Malboire et Ru aux éditions L’Atalante ou en 2022, Eutopia, aux éditions Argyll) et des nouvelles comme ce recueil intitulé Dévorer le futur, édité par les éditions Goater en novembre dernier. Le point commun de tous ses écrits : ils se rattachent aux littératures de l’imaginaire même si l’auteur n’apprécie guère ce terme. « Je ne vois pas en quoi la science-fiction est plus imaginaire qu’un roman historique. J’aime cette formule d’Ursula K. Le Guin que j’ai faite mienne en quelque sorte : “ Réaliste d’une réalité plus large ”. Voilà comment on pourrait définir mon univers. Je ne suis pas dans une SF technophile. Les voitures volantes ne m’intéressent pas. Par contre, qui les construit, pourquoi, quel impact cela peut avoir sur une société, ça me passionne et c’est ce qui me sert de moteur pour écrire mes histoires. La SF est une littérature matérialiste qui nous interroge sur l’organisation de nos sociétés. D’une manière générale, la séparation entre littérature générale et littérature de l’imaginaire n’a pas lieu d’être à mon sens. »
Cette dimension sociale et politique est au coeur des ouvrages de l’écrivain qui aime utiliser le terme de science sociale fiction pour décrire son oeuvre. « Mon truc en littérature est d’avoir des choses à dire : de chercher, de questionner, de transmettre. Je lis ainsi beaucoup de sciences sociales, de philosophie, etc. Ces lectures nourrissent mon écriture. La SF me permet de me décentrer pour mieux questionner la société ». Il suffit de se plonger dans les livres de l’auteur pour s’en convaincre. Eutopia, par exemple, est une utopie qui se base sur l’abolition de la propriété ou encore sur la proposition du salaire à vie, chère à Bernard Friot. Et qui permet à Camille Leboulanger de scruter la nature humaine et d’imaginer la civilisation d’après la révolution.
« J’aime m’interroger sur la société, effectuer des recherches, creuser, développer des thèmes en lien avec l’humain. Personnellement, je prends plaisir à écrire dans la difficulté », explique l’intéressé qui, viendra à la rencontre des lecteurs à la Grange aux livres, la librairie coopérative installée à Augan, dans le Morbihan. Un lieu qui parle à Camille Leboulanger, peu enclin à voir les écrivains sur un piédestal. « La Grange aux livres est un lieu de vie en milieu rural, et ça me plaît. En règle générale, le fait d’être écrivain et de venir porter une parole me dérange un peu. J’aime les choses plus informelles où on ne sacralise pas l’auteur et qui permettent d’avoir des échanges plus faciles », affirme Camille Leboulanger qui a plusieurs projets dans ses cartons pour les mois à venir.
À commencer par la traduction d’un livre écrit par M. E. O’Brien et Eman Abdelhadi, deux autrices américaines, intitulé Tout pour tout le monde et sur lequel l’écrivain travaille en compagnie de Marie Koullen. « J’ai eu un véritable coup de coeur pour ce livre car personne n’avait écrit un bouquin comme celui-là, qui aborde, dans une forme singulière, des thèmes comme l’abolition du capitalisme, la révolution sociale, etc. » L’ouvrage paraîtra en mai aux éditions Argyll. En parallèle, il écrit une biographie de Jenny Marx, l’épouse de Karl Marx et songe également à un roman de science-fiction rurale. « Je suis quelqu’un qui cogite beaucoup sur ce que j’écris et qui aime sortir de sa zone de confort, tester de nouvelles choses. Comme sur Eutopia qui traite de l’abolition de la propriété et où je n’utilise aucun pronom possessif. »
Un article d'Erwan Bargain paru dans la revue Pages de Bretagne n°55 en février 2024.
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Bibliographie
- Enfin la nuit, Éditions de L’Atalante, 2011
- Bertram le baladin, Éditions Libretto, 2017
- Malboire, Éditions de L’Atalante, 2018
- Ru, Éditions de L’Atalante, 2021
- Le chien du forgeron, Éditions Argyll, 2021
- Eutopia, Éditions Argyll, 2022
- Dévorer le futur, Éditions Goater, 2023