Poésie

Matière de Bretagne

Charles Pennequin, remarquable écrivain, a vécu au Mans, à Lille. Il publie chez P.O.L, à Paris. Depuis des années il a choisi d’habiter au cap Sizun.
Poète de Bretagne ? Voire…
Poète ? Soit. Mais si peu conforme au canon lyrique orné d’images, qui saucissonne le sensible en vers libres standardisés ! Assez souvent, en poésie, l’invention n’est pas dans… « la poésie » : voir la déchirante Danielle Collobert (de Rostrenen — si peu). Il y a des poètes auto-déclarés (flopée). D’autres définis poètes plutôt par défaut. D’autres (plus rares) se disent plutôt méfiants de la poésie. Certains vivent en Bretagne. Tous ne publient pas chez des éditeurs « de poésie ». D’actives officines de ce type, la région en héberge plusieurs. Elle connaît des festivals et des salons où les poètes (très bretons, un peu bretons, pas bretons du tout) sont à l’honneur. Tout cela, dans les marges du barnum médiatique et culturel, vit sa vie bigarrée, modeste et passionnée — d’où sort parfois une oeuvre forte.
Bref, en Bretagne, c’est… comme partout.

Mais il y a autre chose. Au temps du roi Philippe-Auguste et du duc breton Arthur Ier Plantagenet, réapparut la « matière de Bretagne ». Nul besoin d’y penser pieusement chaque jour : elle infuse en douce les consciences. Elle fut, pour trois siècles, la nourriture poétique de l’Occident. Peu exploitée par les bretons d’alors, certes. Née en grande plutôt qu’en petite Bretagne, sans doute — nonobstant le Léon de Tristan et la magie de Brocéliande : Val sans Retour ! Folle Pensée ! Pertuis-Néanti ! Matière celtique, en tout cas. Païenne d’origine même si Robert de Boron la christianisa vite fait. Ceux qui ont suivi (les du cru comme les immigrés furtifs, les vissés sur place ou les expatriés) lui ont déclaré leur amour. Laissons le folklore des néo-bardes (Brizeux, Botrel) et de leurs successeurs plus récents.

Préférons Corbière, Jarry, Saint-Pol-Roux, Max Jacob. Et la braise d’André Breton (comme son nom l’indique) offerte au trépied de Keridwenn. Salut au passage à Jean-Pascal Dubost à l’oeuvre aujourd’hui aux forges de Paimpont. La geste du Graal intéresse les poètes. Pourquoi ? Juste ceci : pour noter l’effet que le monde nous fait, nous n’avons jamais les mots. Pire : les mots communément articulés en discours sont un espace aride entre « le monde » et « nous » : nos expériences intimes s’y perdent, s’y taisent. Il faut bien tenter de traverser cette terre gaste. Entrer dans la forêt où gît l’énigme : inventer des langues qui disent plus justement la vérité des sensations, des amours, des peurs. Chercher le réel, en somme — toujours manqué. Cette quête s’appelle poésie. C’était celle de Perceval le nice, le risque-tout maladroit et timide qui découvre son nom au fil de l’aventure et entrevoit, ne fait qu’entrevoir, sans oser demander qu’on lui dise ce qu’il est, à qui on le sert, de quel monde exorbitant il vient, le graal du réel étincelant au fond d’un château perdu.

Christian Prigent, poète

Christian Prigent est né en 1945 à Saint-Brieuc, où il vit toujours. Il a fondé à Rennes en 1969 la revue TXT et publié, essentiellement chez P.O.L, une soixantaine d’ouvrages. Prix Louis-Guilloux 2007. Grand prix de poésie de l’Académie française 2018.

Publications récentes
Point d’appui, journal 2012-2018 P.O.L, 2019,
Chino au jardin P.O.L, 2021.

Retrouvez sur notre annuaire en ligne les auteurs, éditeurs, libraires, manifestations littéraires de Bretagne sprécialisés dans la poésie.

Retrouvez sur notre catalogue de parutions en ligne les publications des auteurs, autrices, éditeurs et éditrices bretons en poésie.